Antonio López: Trotter
Antonio’s work engages with the polemics of pictorial representation, the perpetual re-enactment and re staging of the past and the production/perception cycles of image making.
The exhibition will be accompanied by a text by James Krone.
Antonio López (1993, Quito, Ecuador) is currently based in Frankfurt am Main and graduated from Städelschule - Class Monika Baer in 2024. Previously he attended The School of the Art Institute of Chicago (BFA 2017). Recent exhibitions include 'Perennials' at Balice Hertling, Paris (2025). 'Hydra (or downtown)' at Louche Ops, Berlin (2024); Flintlock at ECHO, Köln (2023); 'Tidal' at Fffriedrich, Ffm (2023); 'Errandt' at Rudimento, Quito (2021) among others.
« Il est étrange de penser que la nature, qui ne sait ni dessiner ni peindre quelque ressemblance que ce soit, parvient parfois à donner l’illusion de l’avoir fait, tandis que l’art, qui a toujours excellé dans l’imitation, renonce à sa vocation traditionnelle, presque inévitable et “naturelle”, pour se tourner vers la création de formes telles que celles dont la nature elle-même regorge — muettes, non préméditées et sans modèle. Cette inversion de l’ordre des choses semble à la fois révéler et dissimuler un problème. »
- Roger Caillois, extrait de The Writing of Stones (1985)
Les peintures d’Antonio López semblent s’être assemblées comme on bascule d’un état de conscience à un autre. Elles apparaissent liées par une gravité commune, bien que les éléments hétérogènes qui les peuplent ne semblent se rapporter les uns aux autres que par leur acclimatation à une même condition. Ils reposent dans une suspension palindrome, sans conduits narratifs, comme pris dans l’aspic.
S’il y a la moindre suggestion d’un suspense narratif inscrit dans ces champs, c’est peut-être parce que nous sommes conditionnés à en chercher, partout où la terre n’a pas été recouverte de sel. Si les peintures de López s’obstinent à ne pas raconter d’histoires, elles intègrent aussi, sans défense, l’inévitabilité d’un regard projectif. Du mobilier fait de symboles disloqués, des pigeons dans des bureaux abandonnés, des diagrammes reproductifs se métamorphosant en têtes totémiques, les séquelles d’une tornade…Il peut sembler embarrassant, inefficace, voire grossier de lire ces œuvres à travers un tel registre descriptif, mais c'est aussi une façon de tirer certains fils laissés à découvert. L'ambivalence de la peinture en tant que médium figuratif, qui lui confère sa force, se situe entre le désir de retenue et le rejet d'une illusion de retenue.
Dans beaucoup de ces peintures, les contours signalent des registres grossièrement virtuoses d’activité humaine ou animale, des fossiles, un personnage de manga, un oiseau, un fragment de statue, une architecture reconquise par la flore, piquant les impulsions anthropomorphiques de l’œil du spectateur. Ces silhouettes agissent comme des ouvertures, pour voir à l'intérieur et à travers, créant des inversions vertigineuses de l'espace rationnel. Ce câblage exposé est un bruit frénétique de superposition, de censure et de graffitis abandonnés ; une grammaire spectrale, latente et brute, qui canalise des courants à la fois modernes et paléolithiques.
Là où une silhouette duchampienne détour le portrait d’un sujet par sa négation, López utilise les silhouettes comme des espaces territoriaux, à lignes tracées à la craie, où les figures sont absorbées par une infrastructure picturale, leur disparition servant d’armature. Ces espaces vidés ne nient que l’aspect superficiel de leur lisibilité en tant que signes, perforant la surface pour laisser le fond s’y infiltrer sous forme de figures. La silhouette devient ainsi un moyen d’excaver une autre forme d’intériorité, plutôt que de la révoquer.
Parfois, ces superpositions donnent naissance à une apparition gestaltique ; un visage émerge du champ, bien que l’on voie clairement que la constellation de formes à l’origine de cette paréidolie appartient à des éléments disparates. Ces instants ne surgissent pas d’un conflit, partageant la paternité de l'œuvre avec la cognition intersubjective. Cette ouverture à l'idée de la peinture comme cadre de découverte renvoie à l'idée de scruter les taches des murs fissurés et d'y trouver des images. Mais ce n’est pas parce qu’on aperçoit un visage une fois dans la peinture qu’on le reverra nécessairement.
« Il est étrange de penser que la nature, qui ne sait ni dessiner ni peindre quelque ressemblance que ce soit, parvient parfois à donner l’illusion de l’avoir fait, tandis que l’art, qui a toujours excellé dans l’imitation, renonce à sa vocation traditionnelle, presque inévitable et “naturelle”, pour se tourner vers la création de formes telles que celles dont la nature elle-même regorge — muettes, non préméditées et sans modèle. Cette inversion de l’ordre des choses semble à la fois révéler et dissimuler un problème. »
- Roger Caillois, extrait de The Writing of Stones (1985)
Les peintures d’Antonio López semblent s’être assemblées comme on bascule d’un état de conscience à un autre. Elles apparaissent liées par une gravité commune, bien que les éléments hétérogènes qui les peuplent ne semblent se rapporter les uns aux autres que par leur acclimatation à une même condition. Ils reposent dans une suspension palindrome, sans conduits narratifs, comme pris dans l’aspic.
S’il y a la moindre suggestion d’un suspense narratif inscrit dans ces champs, c’est peut-être parce que nous sommes conditionnés à en chercher, partout où la terre n’a pas été recouverte de sel. Si les peintures de López s’obstinent à ne pas raconter d’histoires, elles intègrent aussi, sans défense, l’inévitabilité d’un regard projectif. Du mobilier fait de symboles disloqués, des pigeons dans des bureaux abandonnés, des diagrammes reproductifs se métamorphosant en têtes totémiques, les séquelles d’une tornade…Il peut sembler embarrassant, inefficace, voire grossier de lire ces œuvres à travers un tel registre descriptif, mais c'est aussi une façon de tirer certains fils laissés à découvert. L'ambivalence de la peinture en tant que médium figuratif, qui lui confère sa force, se situe entre le désir de retenue et le rejet d'une illusion de retenue.
Dans beaucoup de ces peintures, les contours signalent des registres grossièrement virtuoses d’activité humaine ou animale, des fossiles, un personnage de manga, un oiseau, un fragment de statue, une architecture reconquise par la flore, piquant les impulsions anthropomorphiques de l’œil du spectateur. Ces silhouettes agissent comme des ouvertures, pour voir à l'intérieur et à travers, créant des inversions vertigineuses de l'espace rationnel. Ce câblage exposé est un bruit frénétique de superposition, de censure et de graffitis abandonnés ; une grammaire spectrale, latente et brute, qui canalise des courants à la fois modernes et paléolithiques.
Là où une silhouette duchampienne détour le portrait d’un sujet par sa négation, López utilise les silhouettes comme des espaces territoriaux, à lignes tracées à la craie, où les figures sont absorbées par une infrastructure picturale, leur disparition servant d’armature. Ces espaces vidés ne nient que l’aspect superficiel de leur lisibilité en tant que signes, perforant la surface pour laisser le fond s’y infiltrer sous forme de figures. La silhouette devient ainsi un moyen d’excaver une autre forme d’intériorité, plutôt que de la révoquer.
Parfois, ces superpositions donnent naissance à une apparition gestaltique ; un visage émerge du champ, bien que l’on voie clairement que la constellation de formes à l’origine de cette paréidolie appartient à des éléments disparates. Ces instants ne surgissent pas d’un conflit, partageant la paternité de l'œuvre avec la cognition intersubjective. Cette ouverture à l'idée de la peinture comme cadre de découverte renvoie à l'idée de scruter les taches des murs fissurés et d'y trouver des images. Mais ce n’est pas parce qu’on aperçoit un visage une fois dans la peinture qu’on le reverra nécessairement.
En tentant de décrire un rêve avant que son souvenir ne s’estompe, on réalise rapidement que les tendances du langage produisent une autre forme d’image, si redevable à sa propre logique qu’elle ne peut que trahir la syntaxe propre aux rêves. Le problème ne vient pas d’un manque de signes ou de mots pour nommer les sujets qui apparaissent en rêve, mais du fait que, dans les rêves, les catégories auxquelles ces sujets appartiennent sont flexibles d’une manière que le langage conventionnel ne permet pas. Lorsque le langage tente d’apprendre de ces qualités et de les intérioriser, il devient un acte radical : la poésie. Dans une peinture ou dans n’importe quel rêve, un matelas peut sans effort se transformer en scène ou épouser l’ombre d’un chat.
James Krone (traduit de l’anglais)
En tentant de décrire un rêve avant que son souvenir ne s’estompe, on réalise rapidement que les tendances du langage produisent une autre forme d’image, si redevable à sa propre logique qu’elle ne peut que trahir la syntaxe propre aux rêves. Le problème ne vient pas d’un manque de signes ou de mots pour nommer les sujets qui apparaissent en rêve, mais du fait que, dans les rêves, les catégories auxquelles ces sujets appartiennent sont flexibles d’une manière que le langage conventionnel ne permet pas. Lorsque le langage tente d’apprendre de ces qualités et de les intérioriser, il devient un acte radical : la poésie. Dans une peinture ou dans n’importe quel rêve, un matelas peut sans effort se transformer en scène ou épouser l’ombre d’un chat.
James Krone (traduit de l’anglais).