Julie Beaufils
Zoe Stillpass: Peux-tu expliquer la technique que tu as développée, ta manière de travailler ?
Julie Beaufils: Sans complètement abandonner la figure, j’ai gardé le dessin comme pratique
fondamentale. Chaque ligne tracée s’est mise à exister pour elle-même dans une composition, sans plus être le contour de quelque chose. Suite à cela, j’ai changé toute ma manière de travailler - de la façon de préparer mes toiles jusqu’à la préparation de mes couleurs à l’huile. Je choisis une toile très fine et, tout en l’encollant, je conserve sa couleur écrue originale. Finalement, les couleurs diluées apparaissent plus mattes. Plusieurs couches de différentes teintes sont nécessaires pour obtenir une même couleur.
Z.S.: Ce qui m’a frappé tout de suite dans tes tableaux récents sont les couleurs. Les combinaisons sont très belles mais étranges. Il y a une sorte de vibration entre les couleurs qui crée comme des atmosphères. Peux-tu parler davantage de tes choix de couleurs et de leur importance pour toi ?
J.B.: Dans chaque tableau, les combinaisons de couleurs dépendent d’une première teinte qui initie la composition. Ensuite, c’est comme une réaction en chaîne. Une fois le jus appliqué sur une partie de la toile, d’autres tons de cette même couleur se suggèrent d'eux-même. Puis, lorsqu’un équilibre apparaît, le but est de trouver quelle couleur peut justement le détruire. Et ainsi de suite. A un certain moment, une couleur en particulier change la direction de l’ensemble. La façon dont elle fait vibrer les autres mène le tableau dans un entre-deux où la composition ne représente plus quelque chose en particulier mais diffuse une atmosphère et offre différentes perspectives.
Z.S.: Comme tu l’as évoqué, tes tableaux présentent des paysages mentaux, des espaces dans lesquels on voyage. Peux-tu développer sur ce point ?
J.B.: Pour continuer sur la couleur, je pense que c’est la façon dont les tons vibrent au sein d’un tableau qui permet de toucher la mémoire visuelle. La manière dont deux couleurs se répondent peut faire penser à un endroit visité auparavant, accompagné de toutes les pensées qui vont avec. L’année dernière lorsque j’ai voyagé dans le désert californien, je me rappelle d’un moment où je me suis arrêtée sur le bord de la route pour regarder une carte. En sortant de la voiture, j’ai vu que le paysage était rigoureusement plat à 180° et pouvait être résumé en 2D par une seule ligne, continue et infinie. Chaque lieu visité se grave de manière différente dans l’esprit, symbolisé par une forme, une couleur ou une odeur. Certaines couleurs me permettent de me rappeler d’endroits qui ont laissé une empreinte en moi, de me remémorer certaines pensées, puis de les intensifier ou de les magnifier, sans peindre leur apparence exacte. C’est aussi une façon de toucher du bout des doigts l’espace infini dont nous parlions, car il n’y a pas un nombre limité de pensées et de souvenirs.
Extraits de l’entretien La puissance affective de la peinture, entre l’historienne de l’art Zoe Stillpass et l’artiste Julie Beaufils. Pour lire l’entretien complet, rendez-vous sur notre site dans les Reading Rooms