Owen Fu: After Hours
“Ca doit être la pleine lune”
After Hours (1985) Martin Scorsese
Pour sa première exposition en France, Owen Fu présente une sélection d’oeuvres
auxquelles les logiques diurnes ne s’appliquent pas. Ces peintures, sur toiles et objets trouvés, nous donnent l’impression d’être plongé dans une nuit confuse ; ou l’impression que l’on se retrouve soudain dans le salon d’un·e étrang·er·ère. De ces oeuvres, des formes et visages émergent progressivement. Certains semblent palpables, d’autres ont l’air de s’extraire de leur environnement pictural avant de glisser à nouveau dans l’ombre.
Owen Fu crée ainsi une expérience de paréidolie (phénomène où l’on perçoit un motif dans une image par ailleurs ordinaire mais néanmoins sans rapport avec ce que l’on croit reconnaître). De nombreux charmes se cachent dans les coups de pinceaux gris, verts, marrons et blancs, ou sur le dos d’une chaise en bois. Ces perceptions peuvent être qualifiées d’échecs productifs à accepter la réalité telle qu’elle est donnée. Mais loin de renoncer à tout réalisme, « After Hours » suggère, contrairement aux rêves, que l’étrangeté et la paranoïa nocturnes se déroulent sur la même chronologie que la sécurité et la normalité de la journée.
Le titre de l’exposition fait référence au film de Martin Scorsese, sorti en 1985. Dans le film, un homme ordinaire fait face à une nuit interminable à New York ; une nuit marquée par des guêpiers et des mauvaises surprises. Comme si Mercure rétrogradait, toute communication s’interrompt et la tâche, a priori simple, de rentrer à la maison se révèle impossible. Le protagoniste, qui porte un costume, se retrouve piégé downtown avec les freaks et les artistes qui savourent les heures sombres en tant que des moments volés, hors du temps capitaliste.
La désintégration des codes sociaux supposément « normaux » révèle combien chaque acte de communication est en fait un acte de foi. Dans son essaie sur le surréalisme publié en 1929, Walter Benjamin écrit que la lecture n’est rien de moins que de la télépathie. Si les personnages présents dans les travaux d’Owen Fu communiquent, c’est par la folie lunaire de la télépathie ou par les langues de proximité qui n’utilisent pas de mots.
L’ordinaire, apprend-on, est déjà imbriqué dans l’extraordinaire. Comme Benjamin l’écrit : « nous ne pénétrons le mystère que dans la mesure où nous le reconnaissons dans le monde quotidien, en vertu d’une optique dialectique qui perçoit le quotidien comme impénétrable, l’impénétrable comme quotidien. » Plus qu’un ré-enchantement de la vie quotidien, Owen Fu semble s’intéresser à la fois aux objets banals et aux forces mystérieuses. Comme il indique dans un poème qui accompagne l’exposition : « Robin's Chair, / Owen's hair, / I am wondering if the moon care. » (La chaise de Robin, / les cheveux d’Owen, / je me demande si la lune s’en soucie.)